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Le processus initiatique

Le secret

Silence ? Secret ? Discrétion ? Le secret trouble profondément quand il est question de franc-maçonnerie et c’est normal ! Car le secret revêt une valeur fondamentale dans nos serments maçonniques au point que nous incarnons pour le grand public le secret, comme nous incarnons les principes de liberté, de fraternité et d’égalité proclamés par notre ordre initiatique.

Est-ce que le concept de secret paraît plus simple si l’on dit que Le « Processus initiatique » est une expérience vécue et intime ? Cela, chacun peut le comprendre ; intime comme un couple qui ne se raconte pas dans son intimité. C’est pourquoi l’expérience de l’initiation est indicible et ne peut être rendue dans un discours rationnel ; et c’est «cet indicible » qui est le cœur du secret maçonnique.

Toutefois si chaque membre est libre de faire état de sa qualité de franc-maçon, en revanche nous ne devons jamais faire état de celle d’autrui. C’est le secret d’appartenance et il est complètement légitime comme l’est le secret de « délibérations » garant de la liberté de parole en Loge.

C’est donc par nature que l’initiation est liée au secret maçonnique ; il ne peut être trahi car « incommunicable », du domaine du vécu et de l’intime. Toutefois, si l’intime ne se communique pas une approche de l’initiation reste utile pour appréhender le processus initiatique.

Aperçu sur l'initiation

Qu’est ce qu’une initiation ? A l’instar des initiations qui sont de tous les temps et de toutes les cultures, l’initiation vise à un processus de transformation de l’individu au travers d’une transmission ; il en est de même en franc-maçonnerie.

Cette transmission s’effectue au cours d’une cérémonie particulière où le récipiendaire est un des acteurs principaux. L’initié est mis en condition de réception et de perception, et pour cela tout y contribuera :

  • les fondements du rite par le support qu’est le rituel,
  • l’assemblée par sa « cum-union » (son union avec) que l’on appelle aussi l’égrégore. (étymologiquement les éveillés)

Une fois « initié » tout restera à faire, car si l’initiation se reçoit, il reste au nouvel impétrant à l’acquérir….
Comment :

  • En participant régulièrement aux réunions de sa loge (en moyenne deux fois par mois).
  • Par son travail personnel lié à la compréhension des mythes et symboles propres à son degré.
  • Par le corpus initiatique qu’il recevra de la part des aînés, de ces aînés que nous aimons tendrement et respectons complètement car nous les considérons comme les maillons vivants d’une chaîne qui perdure après eux, après nous.

Nous sommes bien là dans le domaine de la transmission ; mais elle ne s’opère pas de n’importe quelle manière :

  • Il n’y a pas de savoir à acquérir ou de doctrine à apprendre, mais plutôt une expérience personnelle à élaborer ; les mythes et symboles seront utilisés pour permettre de construire sa propre réflexion de manière analogique.
  • Nous procédons par approches successives ; l’essentiel est de faire prendre à notre réflexion des chemins inexplorés car nous sommes dans le domaine du sensible et du vécu intimiste. Notre acquit du moment va se transformer demain par un autre éclairage… toujours en mouvement !

L’initiation est une démarche à la fois individuelle et collective, de liberté ordonnée à des valeurs morales qui lui donnent son unité et son sens. Enfin elle n’est ni un sacrement, ni une révélation ; elle n’est qu’une aventure avec et pour des hommes tout en cherchant à devenir un homme idéal …. Cela nous dépasse mais bien évidemment parce que cela nous dépasse, cela nous fonde !

Sans avoir trahi l’intime de l’initiation, et puisque nous avons parlé du rite comme élément générateur de ce processus de transformation, il faut aborder la méthode maçonnique.

Rites & rituels

Au sens étymologique le Rite, (rita/agencement) met en scène le chaos originel pour tenter de donner un sens et construire un ordre cosmique. C’est donc le rite qui va structurer la démarche initiatique du franc-maçon et le travail en loge en y générant du sens.

Tout en faisant référence à un « tronc commun » de symboles (équerre, compas, etc.) plusieurs rites maçonniques ont été élaborés au cours des siècles, qui présentent les uns par rapport aux autres suffisamment de différences pour ne pas être confondus ; mais si tous sont porteurs de sens, la spécificité propre à chaque rite est vraiment ce qui va induire chez l’initié sa transformation.

Le Rite Écossais Ancien et Accepté, en référence au chaos de l’origine et à l’ordre qui peut en découler, proclame par sa devise (Ordo ab chao) sa dimension spirituelle.

Il est le rite le plus pratiqué dans le monde. Il laisse à chacun sa totale liberté de conscience religieuse et citoyenne ; riche de 33 degrés, sa spécificité est d’invoquer dans tous ses travaux le Grand Architecte de l’Univers, expression symbolique d’un Principe Supérieur, librement interprétable par chacun mais mettant l’initié dans une perspective spirituelle incontournable.

Les termes « Écossais » et « accepté » font référence à ses origines ; ils perpétuent et actualisent l’héritage des Maçons « écossais » qui ont « accepté » dans leurs loges des personnes étrangères au métier originel de constructeur.

Le rituel, lié au rite, en est son expression ; c’est un peu « la mise en musique » de ses différentes composantes, la déclinaison pratique de ses fondamentaux; le rituel met en scène symboles, mythes fondateurs, décors qui servent de matière à la réflexion des membres de la loge.

Pour ce qui me concerne, Rite et rituel m’ont invité à me confronter à mes préjugés, à les faire évoluer par rapport aux concepts acquis jusqu’alors dans tous les domaines : religions, philosophies, vie citoyenne …

Il s’agit bien pour le franc-maçon travaillant au Rite Écossais Ancien et Accepté de se construire en intégrant totalement la perspective de sa dimension spirituelle en référence au Grand Architecte de l’Univers, principe qui nous dépasse mais qui nous fonde10. Sa réflexion (au sein de cette spiritualité laïque qu’est la franc-maçonnerie) est sous-tendue par la mise en œuvre d’une méthode originale, héritière de la tradition et que je vais tenter d’évoquer maintenant ; mais là encore (comme pour l’initiation) il faut s’en imprégner et la vivre pleinement pour l’appréhender.

La méthode

La méthode pratiquée en franc-maçonnerie repose sur l’approche graduelle, traditionnelle et symbolique d’un corpus initiatique. Les trois premiers degrés sont Apprenti, Compagnon et Maître en référence aux bâtisseurs. La tradition veut que l’apprenti reste dans le silence qui comme le secret est porteur de sens. Pourquoi ? Tout simplement pour apprendre « autrement », progressivement, par l’écoute de l’autre et par sa propre écoute intérieure, à édifier et construire sa parole, à se forger sa propre conscience en discernement tout en mettant « l’autre » au cœur de ses préoccupations.

Autre pivot de la méthode : le développement de la pensée analogique par l’usage des Outils, symboles et mythes comme supports de la réflexion initiatique. Ils évoquent fréquemment une forme métaphorique ou allégorique.

Ils renvoient à une multitude de significations intellectuelles, morales, spirituelles permettant de dépasser le seul langage des concepts et de la rationalité intellectuelle. …car si le concept donne à savoir, le Symbole, lui, donne à penser ! (comme l’ont dit Eckarta et après lui Paul Ricoeurb).

À titre d’exemple :
Maillet et ciseau, Équerre et compas, règle et levier sont des outils de tailleurs de pierres ; La démarche symbolique que nous pratiquons, par une approche analogique de la pensée, va transformer peu à peu ces outils mis sous notre regard, en symboles de la construction de l’être intérieur ; chacun va les décliner et se les approprier, selon sa sensibilité.

Par l’exercice préalable du silence et de l’approche analogique nous voyageons vers les parties les plus inconscientes de la pensée en complémentarité d’une seule rationalité réductrice. A cela, on peut ajouter que le langage symbolique (fait d’humilité puisque personne n’a encore réussi à l’appréhender dans son ensemble) n’a rien à prouver. Mais il est là pour favoriser la méditation et faire prendre à notre esprit, grâce à la pensée analogique, des chemins mentaux inexplorés conduisant à une réflexion neuve de tout « a priori ».
Ainsi, tout membre admis dans notre ordre initiatique, accepte en conscience que lui soit proposée la méthode commune à tous pour s’épanouir à son intériorité et à sa spiritualité dans un but altruiste….
Vaste programme ! Méthode au « pas à pas », lente et difficile qui met en œuvre notre responsabilité humaine à ne pas accepter des idées toutes faites et à chercher sans relâche l’idée sous le symbole.

Revenir souvent sur notre propre perception. Par l’écoute de l’autre et par l’écoute de l’en-soi, reconnaître peu à peu nos préjugés et percevoir enfin dans cet inconnu qu’est « l’autre » un vrai reflet de soi.
La franc-maçonnerie véhicule la Tradition dont elle procède ; non pas celle synonyme d’immobilisme, mais bien celle nécessaire pour imaginer l’avenir ! Les Franc-Maçons ont cette capacité à se mettre toujours en mouvement, à ne jamais être dans l’acquis ou l’immobilisme, à revenir sur ce que l’on pense, à discerner, moduler et pour autant garder une très forte détermination à « devenir » dans la perspective de ce qui est utile et commun à tous les hommes.
Se structurer, se transformer à son rythme, chercher à construire sa propre conscience en harmonie avec soi-même, les autres et l’univers, puis relier les termes génériques « foi » et « raison », voilà ce que m’inspire l’expérience du processus initiatique qui a débuté le soir de l’initiation et qui conduit l’initié en franc-maçonnerie à entrevoir la clé de son propre mystère. « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux »

On peut considérer l’expérience initiatique comme un cadeau que l’homme se fait à lui-même car personne ne le contraint ni à y entrer, ni y à rester ! Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Au-delà de cette joie que vous percevez ce soir, ce chemin où l’on reste totalement libre de nos pensées et de nos actions, est humble, quotidien, obscur, jalonné d’immenses défaites au regard de toutes petites victoires, petits brin de lumières dont nous imaginons qu’ils sont une infime partie de la vérité humaine utile à tous. Comme l’a dit Kierkegaard « ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin » en franc-maçonnerie.